Beethoven/Farrenc

Programme

Louise Farrenc, Ouverture n° 1 en mi mineur, op. 23
Ludwig van Beethoven, Concerto pour piano n° 2 en si bémol majeur, op. 19
Louise Farrenc, Symphonie n° 2 en ré majeur, op. 35
Louise Farrenc, Ouverture n° 2 en mi bémol mineur, op. 24

Distribution
Lucas Debargue
piano
Insula orchestra
Laurence Equilbey
direction

Introduction

Insula orchestra continue de défricher avec passion l’œuvre de Louise Farrenc, compositrice française du XIXe siècle injustement oubliée. Ses deux ouvertures comme sa Symphonie n° 2 témoignent de son impressionnant talent symphonique. Leur compagnonnage avec le Concerto pour piano n° 2 de Beethoven, interprété par le sensible Lucas Debargue, fait de ce concert un hommage passionnant au romantisme.

Beethoven, Concerto pour piano n° 2

Ludwig van Beethoven (1770 – 1827)
Concerto pour piano n° 2 en si bémol majeur, op. 19
Allegro con brio
Adagio
Rondo

Ludwig van Beethoven partage avec Wolfgang Amadeus Mozart plusieurs points communs : comme lui, c’est un prodigieux pianiste, capable d’improvisations brillantes – son élève Carl Czerny racontait qu’il « parvenait à produire une telle impression sur chacun de ses auditeurs qu’il arrivait fréquemment que les yeux se mouillaient de larmes, et que plusieurs éclataient en sanglots. » Comme Mozart, lorsqu’il vient s’installer à Vienne, c’est avec le piano – qui, depuis les années 1770, supplante de plus en plus le clavecin – que le jeune homme cherche les faveurs du public, pour faire reconnaître ses qualités de soliste et de compositeur.

Lors de sa première apparition devant le public viennois, il se produit avec ce Concerto, op. 19, dont il n’était pourtant pas entièrement satisfait et qu’il remaniera plusieurs fois au cours de sa vie : « je ne [le] donne pas pour un de mes meilleurs ouvrages », écrira-t-il à deux reprises dans sa correspondance, modérant son propos en 1801, lors de sa publication chez l’éditeur Hoffmeister : « mais il n’y aurait […] rien de honteux à faire graver ce concerto. »

Peut-être sent-il qu’il n’a pas encore tout à fait trouvé son style. Ce Concerto pour piano n° 2 – qui est en réalité son premier, mais publié en deuxième – reste marqué par l’influence de son aîné. Ainsi que le note Michel Lecompte, auteur de La musique symphonique de Beethoven, « À sa manière c’est aussi un chef-d’œuvre qui aurait pu figurer parmi les 27 concertos de Mozart. C’est en effet le plus mozartien des concertos de Beethoven ; plein de fraîcheur et d’invention, il a probablement été influencé par le dernier Concerto, K. 595, dans la même tonalité de si bémol majeur. »

Dans sa structure, Ludwig van Beethoven utilise une orchestration de type mozartien et la forme traditionnelle en trois parties. Le premier mouvement, un Allegro con brio, s’inscrit dans le schéma classique de la forme-sonate. L’orchestre débute forte par des mesures énergiques où les violons jouent les thèmes mélodiques. Le piano vient enfin rompre l’exposition orchestrale par une sorte de petit prélude suivi d’un thème plus véhément. Le dialogue entre orchestre et piano se poursuit jusqu’à la coda, où peut s’insérer la cadence de 79 mesures écrite par Beethoven lui-même en 1809 à l’intention de ses élèves.

Le deuxième mouvement, un Adagio, tranche par son expressivité et une grande douceur. La ligne mélodique s’écoule comme une tendre méditation, anticipant le style que l’on retrouvera dans certaines de ses symphonies.

Enfin, le Rondo, passage le plus connu de la partition, séduit par son caractère sautillant et allègre, le dialogue vif et même ludique entre le piano et l’orchestre, ainsi que par ses rythmes syncopés, presque de caractère tzigane, qui font partie des traits de la personnalité musicale de Beethoven.

Isabelle Stibbe pour Insula orchestra

Louise Farrenc (1804 – 1875)
Symphonie n° 2 en ré majeur, op. 35
Andante – Allegro
Andante
Scherzo
Finale

Née en 1804 dans une famille d’artistes qui comptait de nombreux peintres et sculpteurs (dont son père), Louise Farrenc, née Dumont, montre très tôt des talents pour la musique, en particulier pour le piano. Vers quinze ans, elle commence l’étude de l’harmonie et de la théorie musicale avec Antonin Reicha (1770 – 1836) qui fut l’ami de Ludwig van Beethoven. Deux ans plus tard, elle épouse Aristide Farrenc, flûtiste et éditeur de musique, qui l’encourage non seulement à continuer ses études mais à faire connaître ses propres œuvres. Car, fait rare à l’époque, Louise Farrenc compose ! Au XIXe siècle, d’autres femmes ont possédé ce talent – Fanny Mendelssohn ou Clara Schumann, par exemple –, mais elles ont été la plupart du temps contraintes par leur famille d’étouffer leurs ambitions créatrices pour se cantonner à l’interprétation musicale voire tout bonnement à leur rôle d’épouses.

Si dans cette société marquée par la domination masculine, s’épanouir en tant que compositrice relève de l’exception, s’attaquer au genre symphonique confine à l’exploit ! Lorsque Louise Farrenc écrit sa Première symphonie en 1841, elle n’est que la deuxième femme de l’histoire de la musique à se lancer, après Marianne Martines en 1770. Il est frappant de lire à quel point les critiques de l’époque la comparent à un homme ou utilisent à son sujet des qualificatifs liés à la virilité. Sous la plume de Castil-Blaze : « C’est parmi les hommes que Mme Farrenc doit chercher ses rivales » ; sous celle d’Adolphe Giacomelli, parlant de sa Troisième symphonie : il s’agit d’« une œuvre forte et virile » tandis que Honoré Chavée décrit « les traits et les formes cérébrales d’une femme à la stature élevée, à l’aspect presque viril… ». Même en se voulant élogieux, ses 5 contemporains ne font que souligner la faiblesse ou l’infériorité supposées des femmes, comme si l’ampleur des orchestres devait dépasser leurs forces, alors que le problème relève avant tout des préjugés de l’époque : pas facile de convaincre les chefs d’orchestre ou les programmateurs que les femmes ont les capacités intellectuelles pour investir le répertoire des concerts symphoniques – ne parlons pas même des scènes lyriques !

Les premières tentatives de Louise Farrenc pour l’œuvre orchestrale – après des compositions pour le piano – se traduisent en 1834 par les deux Ouvertures op. 23 et 24. Sa Première Symphonie voit le jour à Bruxelles en 1845, avec succès semble-t-il. La Deuxième symphonie, composée en 1845, est créée l’année suivante pour le Conservatoire de Paris où elle enseigne le piano depuis 1842. Lors de ce concert figure également le Concerto pour piano en ré mineur, K. 466 de Wolfgang Amadeus Mozart, interprété par sa fille Victorine.

L’écho entre la partition de Mozart et la Deuxième Symphonie de Farrenc est intéressant dans la mesure où cette dernière s’inspire du modèle mozartien et use d’un langage imagé pour les instruments à vents. Elle débute par un Andante de facture classique où le lent prélude introductif module tout à coup en mineur avant de succéder à un Allegro énergique en forme-sonate. On y entend particulièrement les lignes des instruments à vent, une caractéristique qui se retrouve souvent dans l’écriture de Louise Farrenc. Le deuxième mouvement, un Andante, affirme un lyrisme serti dans une orchestration presque intime. Le troisième mouvement, un Scherzo très enjoué avec des réminiscences beethovéniennes, cède la place au Finale, marqué, comme le premier mouvement, par l’importance donnée aux instruments à vents, avant de se conclure par une coda énergique.

Si le public de l’époque semble avoir accueilli favorablement cette partition, Louise Farrenc tombe dans l’oubli après sa mort en 1875. Depuis plusieurs années, son œuvre fait l’objet d’une redécouverte et est appréciée pour elle-même. Il était temps !

Isabelle Stibbe pour Insula orchestra

La parole à Lucas Debargue

Interview de Lucas Debargue autour du Concerto n° 2 pour piano de Beethoven.

Quel est votre rapport à Beethoven ?

J’entretiens un rapport étroit avec Beethoven depuis que j’ai commencé à faire de la musique. Il est pour moi l’exemple le plus spectaculaire de ce que peut accomplir la volonté créatrice, quand elle n’ignore pas les passions du cœur et de l’esprit, sans pour autant se laisser totalement dominer par elles. Intimidant, parfois austère, son génie est un guide dans les temps où il semble que l’esprit humain n’arrive plus à supporter la coexistence de certaines contradictions fondamentales : entre les forces aspirant à l’ordre et celles aspirant au chaos qui luttent chacune en nous pour avoir la primauté, la musique de Beethoven nous offre un équilibre, où ordre et chaos peuvent coexister par l’opération d’une volonté faisant acte d’amour.


Quels sont les plus grands défis du Concerto pour piano n° 2 ?

Ce concerto prend le soliste à revers dans bien des passages, à commencer par son entrée : après la majestueuse introduction orchestrale, la main droite du pianiste égrène un motif dans le registre suraigu, comme s’il ne voulait (et non ne pouvait, on le verra par la suite) opposer aucun poids à la force orchestrale qui précède. Cette légèreté, qui se manifeste d’autant plus clairement dans la brillante tonalité de si bémol majeur, regarde consciemment vers Mozart – comme pour mieux s’affranchir de lui. Le style classique est pour Beethoven un point de départ pour préparer l’ascension vers des sommets d’expression musicale, notamment dans la cadence du premier mouvement (écrite plus tardivement) et le second mouvement qui s’élève comme une grande prière. Que doit donc faire l’interprète, si ce n’est se laisser guider par les nécessités rhétoriques du style classique, sans pour autant craindre de manifester l’extraordinaire déferlement d’énergie spontanée auquel Beethoven s’adonne dans cette œuvre ? Je dirais que cette pièce réclame de l’interprète un enthousiasme passionné, qui sache se faire timide, réservé, recueilli, fier, drôle quand il faut.Vous êtes également compositeur.

Est-ce que cela influe sur votre façon de jouer ?

Je ne sépare pas vraiment mes activités de pianiste et de compositeur : elles sont le prolongement de la même pensée, de la même vie musicale. Ce que j’apprends de l’écriture musicale m’est directement utile pour l’interprétation, car cela me rapproche de l’artisanat des maîtres dont je joue les œuvres. Réciproquement, jouer les œuvres des maîtres me permet d’éviter de perdre la conscience d’un certain pragmatisme instrumental et de la réalité du concert dans la musique que j’écris : trop de compositeurs d’aujourd’hui se passent complètement d’être interprètes ou d’être au moins concernés par l’interprétation, accouchant d’œuvres parfois irréalisables à l’instrument et ne se souciant guère d’être intelligibles pour l’auditeur (chose dont un interprète doit en permanence se soucier, lui).